Un train de retard. C’est ainsi que l’on m’a souvent désignée avec humour à l’école. Ce décalage frustrant était lié aux mots ou expressions que je ne connaissais pas, mais il a fait de moi une adepte têtue des questions et du dictionnaire. Une habitude précieuse pour écrire comme pour coacher.
Ce décalage créé aussi parfois de beaux éclats comiques, comme cette question bizarre qui m'était venue la première fois que j’entendais parler de fête du slip. Ma réaction, un peu surprise, fût de la comprendre à la lettre pour demander "ah ça a l’air sympa, c’est quand ?". Dix ans après l’amie qui me l’avait dite en rit encore.
C’est dire si les mots sont de surprenants messagers.
Incognito ou claquant sa vérité, chaque mot recouvre une réalité pour qui le prononce. De là, chaque peuple a développé les siens et passer d’une langue à l’autre offre ainsi nombre d’ouvertures. Les Inuits ont une cinquantaine de mots pour dire ‘neige’ et une dizaine pour ‘blanc’. Ce lexique est à l’image de leur monde.
Aujourd’hui on perçoit mieux combien tous ces mots forment aussi la pensée. Ne pas en avoir assez c’est autant de repères en moins à partager avec ses semblables, et avec soi-même.
J’ai beaucoup cherché mes mots pour cet article qui se veut une ressource. Plus que d’habitude car j’ai l’esprit et le cœur encombrés d’inquiétudes vitales en ce moment. Finalement c’est un mot unique qui m’a aidée. Car ce mot fait résonner à lui seul, ce quotidien fragilisé.
Գոյապայքար, que l'on pourrait traduire par « combat d’existence » (prononcer koyabaïkar).
L’Arménien qui l’a relevé sur Twitter ne connaît pas d’autre langue qui donne un mot à cette réalité. Moi non plus.
Il est notable que les Arméniens aient un mot pour cela. Les questions de vie et de mort caractérisent de longue date leur destin. Cette réalité dense explique aussi pourquoi leur Saints traducteurs sont célébrés chaque octobre. Ces visionnaires avaient utilisé l’alphabet arménien, inventé il y a plus de 1600 ans, pour les traductions les plus précieuses et ont ainsi contribué à poser un pilier de l’existence arménienne : cette langue.
Գոյապայքար donc, parce que si les Arméniens vivent encore, c'est qu'ils ont expérimenté ce combat pour exister. Durant toute leur histoire et en cette année de folie aussi. Malgré le nouveau siècle bien entamé, il reste terrible de voir que cette réalité ancienne n’a pas pris une ride dans la guerre de survie de l’Artsakh.
Chaque mot a sa raison d’être.
Ces circonstances incitent à rappeler la fonction des mots en communication. En retard ou pas, il reste essentiel de trouver les siens. Exprimer et faire vivre sa nature unique est à ce prix. Appropriez-vous les vôtres.
J’ai bien aimé ce train de retard qui vous a poussé à bien observer et avancer lentement mais sûrement.bonne continuation