Sur quoi vais-je me faire incendier ?
C’est ce que j’ai appréhendé quand j’ai rencontré Marinella. Elle faisait la tête alors qu’elle venait d’arriver en vacances. Une belle cinquantenaire italienne, grande et mince aux yeux bleus. Seule une discrète mèche violine parmi ses cheveux blancs montrait une possible fantaisie. La masse tranquille des sommets alentours ne la déridait pas. Après une ou deux balades, elle me demande mon métier. Apparemment moins connu en Italie, elle a besoin que je clarifie en quoi consiste le coaching professionnel. J’explique comment je travaille avec mes clients qui vivent ou envisagent une nouvelle étape, et note sa curiosité avec un soupçon de soulagement : je ne me ferai pas incendier.
Marinella étouffe de son travail et ne supporte plus d’y gaspiller tant d’énergie. C’est sans doute ce qui expliquait sa raideur même quand son décor changeait, au milieu de ces magnifiques flancs boisés de mélèzes et de pins sylvestres. Ce sujet revient peu après, lors d’une présentation rapide du tarot. Marinella tire une carte qui la fait réagir : non, elle n’est pas à sa place.
Alors quoi, je démissionne demain ? dit-elle, entre air bravache, espoir et frustration que cette idée ne soit qu’illusion.
Elle aurait préféré une réponse, ou un mode d’emploi pour en trouver une, ce qui est encore une illusion. Si j’ai pu l’avoir, mon expérience juridique m’aura vite appris le contraire : les lois qui prévoient tous les cas sont rares. Le pire c’est que plus elles essaient, plus c’est la bérézina. D’où l’existence des juges et des avocats.
Autre surprise : entre continuer d’étouffer et démissionner, Marinella ne voyait pas d’autre réponse. Tout comme d’autres pensent que devenir entrepreneur est la seule issue quand on est salarié en souffrance. Deux options plutôt extrêmes, bercées d’idées préconçues, et surtout sans concevoir d’autres alternatives. L’illusion prend ici forme d’œillères à visées diamétralement opposées… et c’est tout. Binaire, exclusive et absolue, cette illusion-là fait d’inquiétants ravages ces temps-ci.
Je suppose que comme les biais cognitifs, qui servent à économiser notre cerveau, toutes ces illusions ont un intérêt. Qu’elles apaisent ou évitent d’autres surchauffes difficiles à gérer. L’ennui c’est qu’en étant un peu honnête, elles montrent vite leur limite. Vient alors le temps de les reconsidérer, les reconnaître et enfin, les dégommer pour passer à autre chose.
Je sais.
Dégommer une illusion peut s’avérer pénible. Douloureux même (exemple : le Père Noël).
On oublie souvent que ce peut aussi être joyeux, surtout quand l’illusion enferme. Qui n'en a jamais jeté aux oubliettes pour initier quelque chose de génial ? L’auriez-vous tenté si vous vous étiez contentés de l’illusion ?
Moi en tous cas, j’étais contente de ne pas m’être faite incendier. L'humeur de Marinella était somme toute dirigée contre autre chose que je n’avais pas encore vu, et qu’elle a su me montrer. De quoi gravir d’autres sommets avec le sourire cette fois, voire qui sait quoi d’autre en cascade ?
Les percées ne devraient jamais être sous-estimées.
Foi de coach des idées neuves !
Comments